Régénérer : Principes fondateurs et pratiques inspirantes pour les entreprises et les territoires.

Ben Haggard est cofondateur de Regenesis Group et pionnier de l’approche du développement régénératif. Il explore les relations complexes entre les dimensions humaines, naturelles et économiques qui soutiennent la vitalité d’un lieu. Ben nous partage son expertise unique à l’occasion de la sortie en français de son livre avec Pamela Mang, Régénérer : Principes fondateurs et pratiques inspirantes pour les entreprises et les territoires, en partenariat avec les Editions Rue de l’Echiquier. Ce livre propose un cadre clair pour intégrer les principes régénératifs dans vos pratiques professionnelles, vous invitant à devenir des participants co-créatifs dans vos écosystèmes.

Dans le contexte des diverses approches de la régénération proposées, en quoi votre approche du développement régénératif est-elle unique ?

L’école de pensée dont je suis issu explore les thèmes de la pensée régénérative et de la pratique régénérative depuis environ sept décennies. Elle trouve ses origines dans deux écoles : le développement organisationnel et la permaculture, qui est mon domaine de formation. Regenesis, le groupe que j’ai co-fondé il y a presque 30 ans, a travaillé pour rassembler ces deux champs de la régénération, et c’est ce qui a donné naissance à ce que nous appelons le “développement régénératif”.

Dans notre approche, nous partons du postulat que chaque territoire sur cette planète est unique. Il a son propre caractère et sa propre expression. Cela découle de nombreux facteurs géologiques, biologiques, et écologiques distinct, en plus des facteurs culturels, économiques, et propres aux activités humaines. Quand on considère tous ces éléments, on observe que chaque lieu sur Terre est unique. Pourtant, nous abordons ces lieux comme s’ils étaient interchangeables et génériques. Nous avons donc choisi de découvrir le génie de chaque lieu. Dans chaque projet, nous commençons par appréhender le territoire comme une entité vivante. Nous œuvrons en harmonie avec lui pour que chaque construction, chaque activité nouvelle permette ainsi une expression plus authentique de son identité et de son potentiel futur.

Peut-être pourriez-vous utiliser un exemple pour illustrer cela ?

C’est un projet qui figure dans le livre et pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Il se trouve sur la côte du Mexique, où un promoteur souhaitait créer un hôtel sur la plage à côté d’un village traditionnel. L’équipe de Regenesis a examiné le site et a constaté qu’il était très fragile car constitué d’une bande de sable connectée à un lagon, entouré de monoculture de palmiers et vulnérable aux ouragans. À la grande surprise du porteur de projet, le site s’est avéré être un site archéologique avec une ancienne pyramide cachée sous la colline. Cela a conduit le promoteur à consulter les anciens du village, qui étaient parfaitement conscients de cela, la connaissance du territoire s’étant transmise de génération en génération.

Le promoteur est finalement tombé amoureux du lieu. Il a fini par voir cet endroit comme une communauté pleine de sens et puissante et ils ont ainsi tout recommencé à zéro.

Ils ont conçu un projet destiné à régénérer l’écosystème, la santé du village, les systèmes agricoles de la région, l’habitat des tortues et d’autres espèces importantes. Ils sont passés de l’état d’étrangers exploitant les bénéfices de ce lieu à celui d’initiés travaillant avec le caractère du territoire pour le faire évoluer. Et en fin de compte, ce projet est devenu l’un des exemples phares du tourisme régénératif dans le monde.

Comment adopter ces idées en pratique, même sans lien direct apparent avec les systèmes vivants, comme à Paris par exemple ?

Paris est un lieu très intéressant, complexe et stratifié. Les questions sur la manière de travailler de manière régénérative sont vraiment fascinantes et peut-être incontournables lorsqu’il s’agit de grands systèmes urbains. Alors que nous y voyons souvent que des constructions humaines, il y a toujours une réalité géologique sous-jacente, une réalité hydrologique sous-jacente, une réalité écologique et climatologique. La mesure dans laquelle une ville se met en harmonie avec ces réalités et ces dynamiques organisatrices sous-jacentes est cruciale. Le développement régénératif favorise des approches spécifiques à chaque territoire, entre les quartiers autour de la Seine et ceux des collines par exemple. La recherche de solutions adaptées à chaque contexte est en fait le moyen le plus puissant pour prendre la responsabilité de la manière dont nous vivons sur cette planète.

Je voudrais comprendre comment vous conciliez l’idée de ne pas appliquer des pratiques génériques tout en ayant développé une méthodologie rigoureuse et replicable. Comment ces deux facettes se combinent-elles ?

Ce qui distingue l’approche du développement régénératif, c’est notre façon de penser, en utilisant des “frameworks” basés sur les systèmes vivants. Ainsi, si la façon de penser est rigoureuse et peut être déployée en relation avec tout système vivant, les solutions et actions concrètes qui vont être imaginées ne sont pas réplicables car elles sont sourcées dans la singularité du territoire. Nous ne nous concentrons pas simplement sur de nouvelles stratégies de recyclage, de transports ou de récupération d’eau. Nous nous demandons quelles stratégies demande ce lieu spécifique. Cette approche permet de diriger l’ingéniosité et la créativité humaines vers une appropriation et une différenciation adaptée à chaque lieu. Cela signifie prendre ses responsabilités.

Comment vous est donc venue l’idée qu’il pourrait être utile d’écrire un livre à ce sujet ?

Je pense qu’on a dû nous le demander (rires). Pour répondre à cette demande, nous avons dû effectuer un travail de rétro-ingénierie. Cela nous a pris deux ans pour comprendre quelle était la structure de pensée qui nous permettait d’obtenir ces résultats remarquables. Nous ne faisions pas que répondre à un cahier des charges, ou une liste de critères. Nous répondions intuitivement à une entité complexe, vivante, dynamique et changeante. Le résultat a donc été de pouvoir transmettre la méthodologie dont nous parlions précédemment.

Y avait-il un projet particulier sur lequel vous travailliez à l’époque, qui servait de support à cette réflexion ?

Aux États-Unis, il y a souvent un fort antagonisme entre les citoyens locaux et les promoteurs. Nous avons donc aidé un promoteur à comprendre ce qui était important pour les habitants et pourquoi ils appréciaient leur lieu de vie. Cela a permis de créer un langage commun et de réviser les plans de développement pour refléter ces valeurs, en cherchant à préserver ce qui rend un endroit unique et précieux. Il ne s’agissait pas simplement de répondre aux demandes des gens, mais de comprendre pourquoi ils tiennent profondément à un territoire. Au lieu de se concentrer sur des besoins spécifiques, il s’agit de demander : Qu’est-ce qui, dans ce territoire, revêt une importance telle que vous estimez impératif de le préserver ? Et comment pouvons-nous assurer sa protection, son développement et son évolution durable à l’avenir ? C’est une base de relation complètement différente.

Je vais vous donner ma propre définition du développement régénératif. Lorsque nous régénérons quelque chose, nous permettons l’évolution de son essence dans un nouveau contexte, d’une nouvelle manière.

En tant qu’êtres humains, nous avons la capacité d’apporter une contribution à la vie de notre planète qui pourrait être fondamentalement différente de celle que nous offrons aujourd’hui. Nous avons accumulé une énorme quantité de pouvoir. Mais ce pouvoir n’est plus au service des principes du vivant.

La conscience humaine a une grande capacité à penser en termes de passé, de présent et aussi de futurs. Et c’est l’un des aspects fondamentaux de notre potentiel en tant qu’espèce. Nous pouvons reconnaître le potentiel d’une situation et agir en conséquence pour que ce potentiel se manifeste. Nous sommes des catalyseurs de l’évolution, si nous choisissons de l’être.

La manière d’aborder les défis mondiaux, c’est d’inventer des réponses appropriées aux territoires particuliers où nous vivons et travaillons. Plutôt que de choisir des solutions seulement technologiques, nous croyons que la réponse doit être de revenir à une relation d’amour et d’affection avec les endroits où nous vivons. Nous apprenons à comprendre en profondeur notre contexte, à l’appréhender suffisamment pour interagir harmonieusement avec lui, et à découvrir de nouvelles façons d’y être indigène.

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